Notre méthode d'apprentissage de la grammaire du français écrit est le fruit de plus de vingt ans de réflexion, d'expérimentation, d'enseignement, de consultation, de recherche, de questionnement…

Pourquoi recommandons-nous d'enseigner de façon systématique les règles de grammaire (plutôt que de le faire occasionnellement, au hasard des travaux de rédaction des étudiants) ? Comment avons-nous déterminé les besoins des scripteurs adultes ? Pourquoi nous a-t-il fallu concevoir du matériel didactique pour répondre à ces besoins : n'existait-il pas déjà assez d'ouvrages de grammaire ? Dans quelles conditions avons-nous expérimenté et constamment amélioré notre matériel ? Vous trouverez dans cette page des réponses à ces questions.

Sommaire
 
1. Cours de rédaction (1986)
2. Analyse des erreurs et évaluation des besoins (1988-1991)
  a) Syntaxe
  b) Grammaire
  c) Ponctuation
  d) Lexique
  e) Consultation des ouvrages de référence
3. Création de trois cours, et conception des Modules 1, 2 et 3 (1986-1994)
4. Éditions complètement refondues des Modules 1 (2003) et 2 (2009)
 

1. Cours de rédaction (1986)

C'est en 1986, à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM), que nous avons commencé à offrir de l'aide aux adultes désireux de perfectionner leur français écrit : au trimestre d'hiver, nous avons donné un cours de rédaction à une soixantaine d'étudiants volontaires provenant de divers programmes de sciences humaines. Ce cours visait l'amélioration de toutes les composantes de l'écriture : la cohérence globale du texte, son adéquation à l'intention de communication, sa conformité au code grammatical, etc. Chaque semaine, les étudiants avaient à rédiger un texte d'environ 200 mots. On leur signalait les erreurs de nature orthographique, lexicale, grammaticale ou syntaxique, et on commentait certains aspects de l'organisation textuelle (plan, unité du sujet, marqueurs de relation, découpage en paragraphes...). Les textes annotés étaient discutés en ateliers composés de six à huit étudiants et d'un adjoint au professeur.

Malgré l'encadrement exceptionnel qu'ils recevaient chaque semaine (annotations et commentaires détaillés de leurs textes ; deux heures d'atelier en plus de trois heures de cours magistral), la plupart des étudiants ne pouvaient tirer tout le profit possible de la formule que nous leur proposions : ils ne possédaient pas les connaissances de base nécessaires pour comprendre les explications grammaticales qu'on leur fournissait, encore moins pour corriger eux-mêmes leurs erreurs. Par exemple, quelqu'un à qui on signale une faute de syntaxe dans la phrase ci-dessous ne peut la corriger s'il n'a pas une idée claire de ce qu'est une proposition relative, s'il ignore que la forme du pronom relatif est liée à sa fonction ou ne voit pas à quel mot ce pronom se rapporte :

*Le magazine dont elle faisait semblant de s'intéresser lui a glissé des mains.

Beaucoup d’étudiants n’avaient pas appris ou avaient oublié les notions fondamentales de la grammaire, et ne maîtrisaient pas les outils de l’analyse linguistique. Il n’était pas suffisant pour eux de voir les règles de syntaxe, de grammaire et de ponctuation sous forme de capsules correspondant aux cas concrets qui les avaient fait trébucher dans leurs textes, ni d’étudier les structures linguistiques au hasard de celles qu’ils avaient produites. Au terme de cette expérience, ils ont eux-mêmes demandé qu’on leur offre un enseignement systématique des règles du code de l’écrit.


2. Analyse des erreurs et évaluation des besoins (1988-1991)

Afin d'adapter aux besoins des étudiants le contenu du cours qu'ils réclamaient, nous avons effectué une analyse typologique de leurs erreurs. Nous avons choisi 376 textes représentatifs parmi les 840 recueillis durant le cours de rédaction et avons inventorié les erreurs de tout ordre qu'ils contenaient. Nous avons ainsi pu recenser et analyser 6899 erreurs reflétant les difficultés qu'éprouvent les adultes en situation d'écriture. Une partie des résultats de cette recherche a été publiée dans
la Revue de l'ACLA (Association canadienne de linguistique appliquée), « Les erreurs linguistiques rencontrées dans les écrits des étudiants universitaires : analyse et conséquences », volume 14, numéro 1, printemps 1992, p. 13-30.

De cette analyse d’erreurs s’est dégagée une évaluation des besoins des scripteurs adultes et scolarisés. Nous avons alors constaté qu’aucun ouvrage didactique existant ne répondait à ces besoins ; c’est pourquoi nous avons décidé de créer
nous-mêmes du matériel.

Voici les principaux résultats de notre analyse d'erreurs.

 



a) Syntaxe
C'est la syntaxe (emploi des pronoms et autres substituts, choix des prépositions, coordination…) qui occasionne le plus grand nombre d'erreurs : nous en avons compté 1943, ce qui équivaut à 28,2 % de toutes celles que présentait notre corpus de rédactions. Or, la syntaxe est souvent négligée dans les cours de mise à niveau, cahiers d'exercices et autres formes d'aide offertes aux adultes. Il n'est pas rare que la portion qui lui est réservée se résume à une définition des groupes de mots qui constituent la phrase de base et à quelques exercices d'étiquetage de ces constituants.


b) Grammaire
La deuxième catégorie où se concentrent le plus d'erreurs est celle des accords et de la morphologie (conjugaison, formation du pluriel des noms et des adjectifs…), c'est-à-dire la grammaire au sens traditionnel : nous avons relevé 1772 erreurs de cet ordre, soit 25,7 % des 6899 que nous avons inventoriées. Ce domaine est abondamment traité par les ouvrages didactiques, mais d'une façon qui n'est liée que très indirectement aux besoins réels des scripteurs. Notre analyse montre que ce sont les règles générales plutôt que les irrégularités et les exceptions qui donnent lieu au plus grand nombre de fautes ; par exemple, 95,6 % des accords de verbe erronés que nous avons recensés contreviennent à la règle générale. Les étudiants savent qu'ils doivent accorder le verbe avec son sujet, mais leurs faiblesses en analyse linguistique les empêchent d'appliquer correctement cette règle. Pourtant, dans les ouvrages destinés aux adultes, on semble attacher beaucoup plus d'importance à la connaissance des règles particulières qu'au développement des habiletés permettant d'appliquer la règle générale.

Un autre exemple de l'absence d'adéquation entre les besoins et l'aide offerte est celui du nombre du nom. Notre corpus de rédactions présente une quantité surprenante (369, c'est-à-dire 20,8 % des erreurs de nature grammaticale) de cas où un nom qui aurait dû être au singulier a été mis au pluriel ou l'inverse, comme dans *un sentiment de craintes, *une paire de bottine. Le nombre du nom est à la source de presque sept fois plus d'erreurs que l'accord du participe passé ; nous n'avons pourtant trouvé aucun ouvrage didactique traitant de ce problème.


c) Ponctuation
Après la syntaxe et la grammaire, c'est la ponctuation qui cause le plus de difficultés : nous avons relevé 1344 erreurs dans cette catégorie, ce qui représente 19,5 % du total. Beaucoup d'étudiants inscrits à notre cours de rédaction ignoraient que les règles de ponctuation étaient fondées sur la structure syntaxique de la phrase ; certains étaient même étonnés qu'il y eût des règles. La plupart des ouvrages didactiques y consacrent bien quelques pages, mais ne se soucient guère de la compétence en analyse linguistique que l'application correcte de ces règles exige.


d) Lexique
Les fautes de syntaxe, de grammaire et de ponctuation dont nous venons de parler, auxquelles il faut ajouter 114 mauvaises divisions de mot en fin de ligne, découlent toutes de l'application de règles.

Les autres erreurs que nous avons répertoriées relèvent du lexique : 953 (13,8 %) fautes d'orthographe d'usage, 573 (8,3 %) mauvais choix de mot et 200 (2,9 %) erreurs de sous-catégorisation (emploi intransitif d'un verbe transitif ou l'inverse, par exemple).


e) Consultation des ouvrages de référence
En plus de dresser un inventaire précis des difficultés réelles qu'éprouvent les scripteurs adultes, notre analyse nous a permis de constater qu'ils ne savent pas tirer profit des ouvrages de référence. Parmi les quatorze rédactions que nos étudiants ont écrites, deux ont été faites en classe, sans ouvrages de référence, et les douze autres à la maison. Certes, l'accès aux ouvrages de référence entraîne une diminution notable du nombre moyen de fautes par texte (15,9 par rapport à 19,2), mais cette différence touche presque exclusivement l'orthographe lexicale et, de façon moindre, la flexion verbale. Autrement dit, la plupart des étudiants ne se servent de ces ouvrages que pour s'assurer de l'orthographe de certains mots ; quelques-uns y ont recours aussi pour vérifier les conjugaisons. Mais aucun, semble-t-il, ne les consulte au sujet d'autres faits grammaticaux, encore moins pour des questions de syntaxe, de choix de mots ou de ponctuation.
 

À partir de l'ensemble des résultats de notre analyse, nous avons conclu qu'il fallait créer du matériel adapté aux besoins particuliers des adultes scolarisés qui ne maîtrisent pas le français écrit. Nous avons conclu aussi qu'un seul cours ne serait pas suffisant pour combler toutes les lacunes de cette clientèle, et qu'il fallait en priorité la doter de bases solides en analyse linguistique, la rendre apte à appliquer les règles générales et lui apprendre à se servir des ouvrages de référence.


3. Création de trois cours de grammaire, et conception des Modules 1, 2 et 3 de notre méthode d'apprentissage (1986-1994)

Nous avons pu donner dès l'automne 1986, toujours à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM), un premier cours offrant un enseignement systématique de la grammaire (le mot grammaire étant employé ici au sens d'ensemble des structures et des règles qui constituent le code de l'écrit). Nous distribuions chaque semaine à nos 64 étudiants le matériel que nous rédigions à mesure. Ce cours a eu un succès immédiat : 179 personnes s'y sont inscrites en 1987, 409 en 1988, 553 en 1989. Une équipe de chargés de cours s'est formée pour faire face à la tâche. Leurs commentaires et ceux de leurs étudiants nous ont grandement aidées à perfectionner notre matériel, que nous avons publié pour la première fois en 1989 sous le titre Apprentissage de la grammaire du français écrit. Méthode pratique. Module 1.

Entre-temps, nous rédigions une première version du Module 2, pour le cours de deuxième niveau que réclamaient beaucoup d'étudiants ; nous avons mis ce cours à l'horaire pour la première fois à l'automne 1990. Sa popularité nous a incitées à concevoir le Module 3, dont nous avons pu expérimenter une première version à l'hiver 1994. Durant cette seule année 1994, 3789 étudiants de l'UQÀM se sont inscrits à un de nos trois cours de grammaire : 3434 à celui de premier niveau, 328 à celui de deuxième, 27 à celui de troisième.

Sous les sigles LIN 1009, LIN 2009 et LIN 3019, ces trois cours continuent de se donner à l'UQÀM, où ils ont été intégrés à divers programmes, notamment au certificat en français écrit, au baccalauréat en sciences du langage, au programme court et à la concentration de premier cycle en linguistique appliquée à l'étude de la grammaire. Par ailleurs, le Module 1 et le Module 2 de notre méthode d'apprentissage ont été utilisés dans plusieurs autres universités et collèges à travers le Canada ; nous avons nous-mêmes, après notre départ de l'UQÀM en 1996, enseigné la grammaire en Haïti en nous servant du Module 1.

Jusqu’à ce jour, environ 50 000 personnes, autodidactes ou inscrites à un cours, parlant le français comme langue première ou seconde, ont amélioré leur français écrit à l’aide du Module 1 ; plus de 6000 ont poursuivi avec le Module 2, et environ 2000 avec le Module 3. Grâce à notre propre expérience et à celle de tous ceux qui ont enseigné la grammaire avec notre méthode, grâce aux réactions, aux commentaires et aux questions des étudiants, nous avons pu constamment vérifier l’adéquation de notre matériel didactique aux besoins de ses utilisateurs.


4. Éditions complètement refondues des Modules 1 (2003) et 2 (2009)

Fruit de cette longue expérience de l'enseignement de la grammaire aux adultes, l'édition 2003 du Module 1 a été complètement renouvelée par rapport aux versions antérieures. Répondant aux désirs exprimés par les étudiants, leurs professeurs et les utilisateurs autodidactes, nous avons rendu plus explicites les analyses et les justifications linguistiques ; nous avons facilité le processus d'apprentissage en graduant plus finement ses étapes ; nous avons augmenté la quantité et la diversité des exercices, et accompagné d'explications leur corrigé. Nous avons aussi tiré profit du travail que nous avons consacré à une version multimédia du Module 1 ; bien que celle-ci soit restée à l'état de prototype, son élaboration nous a conduites à métamorphoser la présentation de la version papier, et à la rendre aussi interactive et visuellement agréable que le permet ce support.

En 2009, nous avons publié une édition du Module 2 profondément transformée, conçue sur le même modèle que l'édition 2003 du Module 1.